dimanche 3 mai 2009

Sur la route de Bénarès - Khajuraho


Le 21.04.09

Khajuraho ! La ville du Kâma Sûtra ! Tout le monde sait ce qu'il vient voir et admirer ici : les fameuses sculptures érotiques sur la façade des temples !


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"Le bas du corps de la femme qui soulève ses cuisses est pris de travers par le garçon qui la pénètre. C'est ce qu'on appelle la Grande Ouverture."

[Kâma Sûtra]

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Partout dans la rue, sur notre chemin, des vendeurs nous proposent des petits guides-modes d'emploi du Kâma Sûtra; mais nous, on n'a pas besoin de conseils pratiques, on veut voir les statues !

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"Entourant les flancs de la femme, avec ses deux cuisses, les genoux sur le côté, il l'élargit. Cette posture qui exige de la pratique est appelée Reine du Ciel."

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Où qu'elles sont les sculptures !!


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"Avalambitaka : Le garçon est debout, adossé contre un mur. La fille s'assied sur le siège formé par ses deux mains. Entourant son cou de ses bras, elle déploie ses jambes le long du mur, l'emprisonnant entre ses cuisses. C'est la posture suspendue."

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Le site ouest — le plus intéressant des trois — est un bel endroit. Les temples sont entourés d'espaces verts (!), fleuris (!!) et entretenus (!!!). Comme il se doit, on se rue sur le premier. Où qu'elles sont, où qu'elles sont ! En gardant bien à l'esprit que seulement 5% des sculptures sont érotiques et qu'il va donc falloir avoir l'oeil affûté !


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"Parâvrittaka : Tenant enlacée par-derrière la femme qui lui tourne le dos, il la retourne. C'est la tournante qui demande de la pratique."

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Et ben les amis, ça tripatouille sec ! Ils n'ont pas le marteau et le burin pudiques les indiens ! Elles sont incroyablement bien conservées ces statues ! Le travail est fin et soucieux du détail, on n'est pas déçu !




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Khajuraho : levrettes, fellations et sodomies ! La lumière est superbe en cette fin d'après-midi. La roche est jaune, rouge ou blanche. Les seins des sculptures sont bien ronds, bien gonflés. Les tailleurs ont figé de petits sourires mutins sur le visage des courtisanes. Le site est calme : une demi-douzaine de temples dans de jolis jardins verdoyants. Partouzes, zoophilie, baisers langoureux ! Les jours tranquilles de Khajuraho...

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"Les souffles s'agitent en tous sens, comme l'or en fusion dans le creuset de l'alchimiste : le corps grossier se mue enfin en sa forme divine !"

[Yogakundalinî Upanishad]



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Le 22.04.09

Hier, rencontre avec Sandip. Etudiant à Delhi, il passe dix jours de vacances chez son oncle, le propriétaire de notre guesthouse.

Sandip Jaïn a vingt-six ans. Il est originaire de l'Uttar Pradesh, près de Bénarès, et il étudie le commerce international dans la capitale. Il parle bien l'anglais et incroyablement bien l'espagnol, qu'il est ravi de pouvoir pratiquer avec moi, plaisir partagé.

Comme son nom l'indique, Sandip est jaïn, il est donc végétarien et ne mange rien qui pousse sous la terre, mais la vie urbaine l'oblige à faire des exceptions : patates à la cantine !


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Certains mystiques jaïns se promènent nus et précèdent chaque pas d'un coup de balais pour ne pas risquer de blesser un insecte dans le pan d'un tissu ou sous le poids de leurs pas.

Malheureusement pour nous, Sandip est un laïc !

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Il est issu d'une famille aisée et a deux soeurs. L'une d'elle a vingt-quatre ans, enseigne les sciences politiques à l'Université. Comme nous lui posons des questions sur les élections prévues pour demain, il nous explique qu'il pense que Sonia Gandhi va les gagner avec le parti du Congrès. Mais ça ne semble pas l'enthousiasmer; il adhère plutôt au discours de Mayawati Kumari, leader du parti des dalits, la femme qui représente les intouchables.

Il nous apprend aussi qu'il y a des leaders musulmans dans tous les partis, y compris le BJP, ce qui nuance notre vision approximative du parti nationaliste.


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Sandip a une petite amie. Elle vient du Penjab, elle est sikh. Elle lui a dit qu'elle voulait se marier avec lui, mais il sait que ses parents ne seront pas d'accord avec cette union. Ils préfèrent que le mariage de leur fils unique soit arrangé à l'intérieur de la communauté Jaïn. Alors, nous explique-t-il, il devra se résoudre à la quitter. On perçoit de la peine derrière son sourire résigné mais il ajoute qu'il a une confiance aveugle en ses parents. Il sait qu'ils choisiront quelqu'un de bien pour lui. Il conclut simplement : il n'a jamais désobéi à ses parents et ne leur désobéira jamais.

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Nous avons partagé avec lui une conversation posée, au café, entre amis. En anglais, en espagnol, en sourires, peu importe, nous avons encore beaucoup appris sur ce pays.



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Le 23.04.09

Aujourd'hui, le Madhya Pradesh vote... et nous sommes coincés à Khajuraho !

Les routes sont fermées. Il y a des militaires partout. La plupart des fonctionnaires est réquisitionnée. Il n'y a pas de bus (leur flux s'est tari ces deux derniers jours pour s'éteindre tout à fait ce matin).

Si on ajoute à cela le fait que les grandes vacances ont commencé il y a peu, et que, en conséquence, il n'y a plus une seule place de libre dans les trains, on comprendra notre perplexité et les difficultés que nous aurons à quitter ce bled paumé et à rejoindre Varanasi (la mythique Bénarès).


Nous sommes donc en vacances forcées dans la ville du Kâma Sûtra.
Soleil blanc.
40°C à l'ombre.

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"Les boucles dansent, emmêlées,
Les anneaux d'oreilles se balancent,
La marque au front s'estompe
Sous les fins réseaux de sueur,
L'oeil est alangui après le plaisir."

[La Centurie d'Amaru]


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Dernière solution envisagée : le taxi (9 heures de route). Nous pourrions être à Varanasi demain en début d'après-midi.

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Hier soir, j'ai passé un moment à discuter avec Babloo, l'un des commerçants de la rue. 32 ans, marié depuis l'âge de 16 ans avec une femme qui n'en avait alors que 14. Père de 4 enfants (2 filles, 11 et 9 ans, 2 garçons, 7 et 5) — Babloo m'a parlé d'une opération subie pour ne pas en avoir un cinquième.




Il dit avoir une petite amie allemande qui vient passer avec lui quelques mois chaque année. Il est allé la voir en Allemagne en janvier et février 2004 et a adoré le froid.

Quand je lui demande ce qu'en pense sa femme, il m'explique qu'elle n'a rien à en penser, qu'il n'a pas eu le choix de l'épouser et qu'il est un bon père. Il ne sait ni lire ni écrire, n'a passé qu'un an à l'école quand il était petit. Il paye une école privée à ses quatre enfants parce qu'il veut qu'ils aient une bonne éducation. Il dit qu'il repartira de ce monde en hindou, comme il est venu, nu et sur un bûcher, et que tout ce qu'il aura gagné en travaillant d'ici-là est pour sa famille, pendant cette vie et après (je comprends alors que la femme de Babloo n'est peut-être pas aussi libérale qu'il le voudrait et qu'il vaut mieux ne pas trop insister sur ce sujet...).



Babloo (32 ans, je le rappelle...) trouve que l'Inde a beaucoup changé ces 10 dernières années. Il peste contre l'argent-roi, le consumérisme, les dégâts causés par les touristes à force de filer des biftons à tout-va, laissant aux jeunes l'illusion de l'argent facile. Ces jeunes justement, ils passent leurs journées à traîner dans la rue à la recherche de plaisirs immédiats, oubliant que leurs actions dans cette vie conditionnent la qualité de leurs vies futures...

Lui ne l'oublie pas.

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L'Inde à la recherche de son karma...



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Quand je lui parle des élections, il me sert un discours sur la corruption des élites, sur le business, mauvais à cause des choix économiques des dirigeants (furieux qu'on donne l'argent des travailleurs aux banquiers !), des pakistanais et des attentats de Mumbaï. Le seul leader qui trouve grâce à ses yeux est le Premier Ministre du Gujarat (BJP, nationalistes hindous), qui a su "mettre au pas" les musulmans et un terme à la corruption dans ce qui est aujourd'hui l'un des états les plus riches du pays...

Ça fout quand même un peu les j'tons quand on sait les émeutes qui l'ont conduit au pouvoir !...

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"714 millions d’électeurs, près de 830 000 bureaux de vote et 6,1 millions de fonctionnaires et membres des forces de l’ordre mobilisés : les élections législatives indiennes, qui débutent aujourd’hui, constituent de très loin le plus grand exercice démocratique au monde. Un véritable cauchemar logistique, aussi, qui oblige à étaler le scrutin sur un mois, en cinq phases successives. Le décompte des voix ne débutera que le 16 mai, mais tous les observateurs s’attendent déjà à ce que les résultats débouchent sur un fragile gouvernement de coalition.

Faiseurs de rois. Le paysage politique reste dominé par les deux grands partis nationaux : le Congrès (centre gauche), qui mène la coalition au pouvoir depuis 2004, et le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien, droite nationaliste hindoue), la principale force d’opposition. Le premier, dirigé par l’héritière de la dynastie Nehru-Gandhi, Sonia Gandhi, est donné favori et espère donc maintenir en poste son Premier ministre actuel, Manmohan Singh, âgé de 76 ans. Les nationalistes hindous sont pour leur part emmenés par Lal Krishna Advani, 81 ans, lui aussi habitué aux arcanes du pouvoir, notamment comme ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre sous le gouvernement précédent (à la tête du pays de 1998 à 2004).


Tentant de se débarrasser de son image de faucon ultranationaliste, ce dernier a mis en sourdine ses discours contre les minorités religieuses, même si d’autres candidats du BJP n’ont pas pu s’empêcher de tomber dans des diatribes contre les musulmans ou les chrétiens. Malgré leurs différences idéologiques, les deux partis nationaux ont mené une campagne similaire, limitée à des thèmes très généraux, tels l’impact de la récession en cours, la lutte contre la pauvreté, le développement des infrastructures et de l’éducation, ou encore la lutte contre le terrorisme. Car, à l’arrivée, chacun sait que l’élection se jouera sur des questions purement locales.

L’issue du scrutin est d’autant plus incertaine que, avec l’émergence d’une multitude de petites formations régionales, ni le Congrès ni le BJP ne peuvent espérer obtenir une majorité absolue au Parlement fédéral. Tout dépendra donc des alliances qui se forgeront à la sortie des urnes, imprévisibles puisque celles-ci sont plus opportunistes que fondées sur les affinités idéologiques. Avides de pouvoir, la plupart des petits partis, devenus les véritables faiseurs de rois de la scène politique nationale, n’hésitent pas à changer de camp d’une élection à l’autre.




«Troisième front». Dans ce contexte, tous les regards se tournent vers la présidente du Bahujan Samaj Party (BSP, Parti de la société dalit), Mayawati Kumari, actuellement chef du gouvernement de l’Uttar Pradesh, au nord. La mainmise du BSP dans cet Etat de 182 millions d’habitants pourrait faire de cette quinquagénaire la clef de la prochaine coalition. Ancienne institutrice issue de la communauté des intouchables, le plus bas échelon du système des castes, elle se rêve déjà Première ministre, à la tête d’un «troisième front» composé exclusivement de petits partis. Un scénario qui, s’il ne présage rien de bon pour la stabilité politique du pays, n’est pas exclu, tant en raison du poids grandissant des formations régionales que du désenchantement de nombreux électeurs envers les deux grands partis traditionnels, souvent jugés corrompus et inefficaces.


Fascination. La «reine des dalits», comme on la surnomme, n’est cependant pas en reste. Visée dans diverses affaires de corruption, elle excelle dans l’art du populisme et du culte de la personnalité, et n’a aucun scrupule à retourner sa veste pour servir ses intérêts politiques. Elle est d’ailleurs arrivée à la tête de l’Uttar Pradesh, il y a deux ans, grâce au soutien des hautes castes, qu’elle dénonce pourtant depuis toujours comme les oppresseurs de son électorat traditionnel. Mais ses partisans, en l’occurrence les plus pauvres, sont fascinés de voir une des leurs réussir et, surtout, assumer pleinement l’étalage au grand jour de son pouvoir et de sa richesse. Une fascination telle que, si elle ne parvient à se hisser elle-même au pouvoir, Mayawati a toutes les chances de décider du nom du futur Premier ministre."

[Pierre Prakash, Libération du 16.04.09]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Mmmmmmmmmmhhhhh... ça me donne des idées... pas très catholiques...
Mille biZoOOO
Armelle & co