jeudi 14 mai 2009

Varanasi


Le 25.04.09

Bénarès. Enfin !

En croissant de lune à l'ouest du Gange arrondi. Petites ruelles à l'odeur pittoresque encombrées parfois d'un taureau avachi. Temples. Imposants murs colorés face au fleuve. Sâdhus et bûchers.

Ces bûchers, nous sommes allés les voir hier soir à l'heure où le soleil se couche.

Beaucoup de monde.

Des vaches sur les marches déversent des torrents de pisse et de merde molle.
Sur une esplanade, près de l'eau, dizaines de tas de bois couvant des brasiers.
Des hommes en toge blanche lavent un corps enroulé dans un linceul.



Un brahmane nous explique que les vieillards viennent finir leurs jours dans des hospices près des ghats.
Lorsque l'un d'eux meurt, un homme est choisi par la famille pour couper les cheveux, raser la barbe, couper les ongles de l'ancien (bien sûr, on fait l'économie de la barbe si c'est une femme...). Ensuite, le corps est oint de sept onguents destinés à ouvrir les shakras du mort... et d'autres choses encore mais j'ai du mal à me concentrer pour écouter ce que nous raconte le brahmane...

Il fait très chaud.


Cela fait quelques minutes qu'on est sur cette terrasse à côté des vaches et d'un énorme tas de bois... On commence à distinguer les paquets dans les brasiers. L'homme a un regard halluciné. Il n'y a pas d'air...

Au fur et à mesure néanmoins, le prêtre nous aide à comprendre ce que nous voyons : la flamme allumée par Shiva qui brûle depuis 4000 ans, le sens des tenues vestimentaires autour de nous, les familles qui se recueillent, les rituels, le bois utilisé...



Curieusement, on ne sent pas l'odeur des corps qui brûlent. Il y a pourtant un moment où tout cela retourne trop de choses en nous, cette proximité avec la mort, le copieux thali ingurgité une heure plus tôt, et, pendant que notre brahmane halluciné énumère les corps qui ne peuvent être incinérés (les sâdhus sont des hommes saints — ils n'en ont pas besoin, on attache donc le corps avec une pierre et on le jette directement dans le Gange... —, les enfants de moins de 13 ans sont innocents — ils n'en ont pas besoin, on attache le corps, une pierre, le Gange —, les femmes enceinte portent l'innocence — pas besoin, pierre, Gange —, les lépreux, les mordus par un cobra, etc...), nous sentons peu à peu nos forces nous abandonner et nos estomacs se manifester.


Nous prenons congé du regard électrique et remontons les ghats jusqu'à notre guesthouse où une bonne douche et une bonne bière nous permettent de retrouver nos esprits.

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Le soir, nous retrouvons Mallory, la californienne rencontrée à Hampi, en compagnie d'un belge flamand à l'histoire incroyable et d'un espagnol des Canaries.


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A Khajuraho, on a fait le plein de bouquins.

Julien a réussi à troquer un pavé SF que nous avait offert un des hippies d'Hampi et le petit guide d'Elephanta acheté sur le débarcadère contre des vrais livres en français !

Je viens de terminer "Vacances indiennes" de William Sutcliff (ce qui m'a valu deux jours d'associabilité de mon amoureux) et ç'a été un vrai plaisir !



Tous ces travelers en quête "d'ouverture d'esprit", "d'un autre moi", d'un accès à la "vraie spiritualité", sans cesse soucieux d'améliorer leur "karma" et dont se moque l'auteur ! Un régal ! Ces occidentaux qui se veulent changés par l'Inde — "J'aime l'Inde mais je déteste l'Inde (...!) — en saris et guenilles crados (volontairement), qui rejettent la condition de touriste et aspirent à être plus indiens que la conception condescendante qu'ils en ont !

Depuis deux mois, nous avons vécu des situations décrites dans le livre (le train, le bus, les bousculades) et croisé la route de plusieurs de ces personnages, mais c'est un jugement cynique et moqueur qu'offre l'auteur, et finalement, ça permet de se replacer un petit peu vis-à-vis de tout ça. Bref, une lecture, une bonne rigolade et, en contexte, une petite remise en question.

J'attaque Alexandra David-Néel dans l'Himalaya !

Paix !



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Ce matin, le calme et la sérénité d'une ville sacrée.

Du linge sèche sur les ghats en compagnie des sâdhus et des taureaux.

Des petites filles en bonnet de bain dans le Gange.
Des occidentaux déguisés en pirates des Caraïbes.
Des parties de cricket sur les ghats.




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Le 27.04.09

Réveil à 5h30 ce matin et deuxième lever de soleil sur les marches de la cité de Shiva.

Hommes et femmes à la prière, aux bains, à la lumière.
Yogins en posture de méditation face au soleil levant.
Sâdhus tirant sur le premier shilom de la journée.
Tchaï avec Ludovic sur le ghat des musulmans. Paisiblement.

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Cela fait trois jours que nous sommes à Varanasi et je n'ai pas vu le temps passer.

A la sortie du taxi, nous avons en vain tenté de nous faire amener jusqu'à notre hôtel. Un vieil homme nous a ouvert la route à travers un dédale de rues très étroites, encombrées de gens, d'échoppes, de pisse, de merde et de vaches de toutes les tailles.

Impossible de s'y retrouver tant le parcours fut labyrinthique et nos yeux rivés sur le sol pour éviter de fouler les excréments de nos tongues !

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On s'est posé puis on est allé se promener sur les ghats.



Peu de monde sous le soleil de l'après-midi, mais des couleurs partout, des autels, des bougies, des drapeaux et des rubans, de l'encens, et des odeurs, des odeurs !

Un air cérémonial flotte dans l'air tout le long du Gange.

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Arrivés aux ghats de crémation, un homme nous a placés à l'abri du soleil, sur une terrasse surplombant les bûchers et nous a expliqué toute la cérémonie.

Au bout d'un moment, la chaleur, les odeurs, le repas sur l'estomac, le discours et la vue des cadavres dans les flammes nous ont tourné les sens et nous avons pris congé.

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Ce matin comme hier, le réveil a sonné à 5h00.
Nous avons adopté un rythme approprié à la chaleur qui brûle et assomme tout pèlerin égaré entre 10h00 du matin et 5h00 du soir !

Au lever du soleil, les ghats sont très animés, et la lumière splendide ajoute à l'ambiance mystique qui y règne.

De ci de là, des indiens se baignent, d'autres prient, certains méditent face au Gange ou font leur lessive. Des femmes réajustent leur sari mouillé pendant que des hommes accroupis font leurs besoins juste au-dessus, une vache passe, un chien termine de manger la carcasse d'un singe, un sâdhu se réveille.
Des enfants insistent pour vous vendre des petites fleurs et des bougies pour la puja et leurs pères vous proposent un tour en bateau.



On se balade, on boit des tchaïs, on rejoint Ludovic près des joueurs d'échecs, on prend quelques photos.

Vers 10h00, le retour à l'hôtel par les ruelles ombragées s'impose.

On trace notre chemin à l'instinct, on se fait dérouter par un taureau monstrueux qui prend toute la place, on reçoit une crotte de singe sur la tête (et oui !...), et puis on laisse tranquillement le temps passer jusqu'au soir pour ressortir prendre une bouffée de ce spectacle vivant.

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Nous avons rencontré Ludovic à Khajuraho et sa route a recroisé la nôtre à Varanasi.


Ancien élève de Saint-Cyr, casque bleu en Yougoslavie puis au Tchad, il a démissionné lorsqu'il a dû renoncer au terrain pour instruire les jeunes recrues.

Devenu instituteur, puis directeur d'école dans la banlieue lyonnaise, il a fait un bon bout de chemin dans "la Grande Famille" de l'Education Nationale avant de démissionner à nouveau.

Grand solitaire, amoureux des voyages, cela fait dix ans qu'il revient traîner ses godillots en Inde et qu'il essaie de comprendre quelque chose à ce pays.




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C'est son sixième voyage en Inde du Nord, la quatrième fois qu'il vient à Varanasi; Ludovic est donc devenu tout naturellement un guide pour nous dans l'océan de signes de la ville sainte. Ancien casque bleu, ancien instructeur de Saint-Cyr, ancien instituteur, ancien directeur d'école, il vit aujourd'hui des revenus de son site de soutien scolaire. Il a également monté un site assez complet sur l'Inde avec les ressources accumulées ces dix dernières années dans la partie septentrionale du sous-continent.

Depuis trois jours, on ne cesse de se croiser sur les ghats, d'aller boire des tchaïs dans un petit nid d'aigle au-dessus de Dasaswamedh ou dans les environs.

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Les journées s'écoulent et le spectacle des bordures du Gange nous émerveille à chaque instant. La lumière du petit matin est sublime. Beaucoup de couleurs. Beaucoup de visages. L'architecture imposante des temples et des palais. Je suis complètement fasciné par tout ça.

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La nuit, il fait encore très chaud.
La nuit le jour, chaque contact du corps avec quelque chose produit immanquablement une auréole de transpiration.
La nuit, je dors sur ma silhouette humide.
Ma sueur se mélange à des milliers d'autres qui suintent du vieux matelas.
Ça me rafraîchit.
C'est bon !

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Le 28.04.09

Leçon de violon sur les ghats avec Luis. Regard médusé des indiens.

Varanasi
Vidéo envoyée par amapola8

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Ce matin, Luis nous a rejoints sur le ghat des musulmans avec son violon. Ça fait un bon moment qu'on a envie de l'entendre jouer, le musicos mexicain !

Il est sympa, Luis, toujours souriant, toujours enthousiaste ! Il joue depuis qu'il a trois ans et après avoir terminé une école de musique en Allemagne, il a rejoint ses deux frères à New York pour monter un groupe. Ils ont terminé leur premier disque et le voilà en vacances en Inde. Si ses soucis de visas s'arrangent, il sera de retour chez lui début mai.




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Aujourd'hui, pause peinture avec Mallory.

Notre californienne croisée à Hampi suit ici des cours de tabla avant de retourner travailler à Delhi. Elle peint à l'encre de chine et nous nous sommes organisé deux sessions de gribouillages ensemble. Quel bonheur les balades dans les ruelles à la recherche d'un bon sujet (toujours trop dur pour moi !).

Il faut que j'achète de l'encre de Chine !


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Le 01.05.09

A la gare de Varanasi, nous avons appris que notre train avait deux heures de retard. Dans une salle d'attente, en grignotant quelques samoussas, nous avons changé nos plans : nous ne serons pas à temps pour le lever du soleil sur le Taj Mahal et nous devrons passer une nuit à Agra avant de filer vers Fatehpur Sikri.




J'ai entrepris d'aller acheter de l'eau, des cigarettes et quelque chose à manger. En arrivant de l'autre côté de la rue qui longe la gare (presqu'une autoroute à traverser en courant !), je me suis dirigée vers les gargotes. Devant l'échoppe, mon pied s'est enfoncé dans deux centimètres de boue (en était-ce réellement...). Agacée, je repars résignée à la recherche de beignets. Une vache, à laquelle je n'avais prêté aucune attention, agite sa queue, me gratifiant ainsi de belles éclaboussures de bouse (cette fois, plus de doute !) !! Souillée de la tongue à la taille, mes provisions en main et passablement énervée, j'entreprends de traverser à nouveau la route entre les bus, les rickshaws, les gens, les vélos, les voitures, les animaux pour rejoindre la gare. Sur le terre-plein central, un muret large de cinquante centimètres entre les deux voies, un homme en profite pour me mettre une belle main pressée et vicieuse au postérieur !!!!!!! Saleté de P.T..N de @#%£§§ !!!! Je l'aurais poussé diaboliquement sous le bus avec un sourire réjoui et satisfait si une éclaircie entre un camion et une voiture n'avait constitué mon unique chance de rejoindre Julien saine, sale et sauve !



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Coucou !
Bon je profite d'avoir un peu de temps pour vous laisser un com... Alors, les bûchers et les morts de Bénarès, je ne veux pas les voir en vrai, j'aime pas la mort, elle me fait peur, et puis je ferai sa connaissance bien assez tôt, alors la rencontrer à tous les coins de rue... Donc aujourd'hui est un jour faste pour moi car sur le coup, aucune trace de "bave"... (nanananèreuuuuh!!!!!)
Bon comme vous avez laissé 2 "reportages", je vais aller pâlir d'envie sur l'autre...
Bizoo
Armelle