vendredi 8 août 2008

Morombe


Le 24.07.08

Morombe. N'avions pas posé le pied à terre depuis Belo. Sensation étrange. Tangage incessant. La nuit a été rude.

Rebutés par les cafards et les blattes de la cabine, avons décidé de dormir sur le pont, allongés sur la bâche sale et poisseuse qui sert normalement à accueillir la cargaison. Beaucoup de vent cette nuit, beaucoup de houle. La voie lactée sur un cheval à bascule. Quelques étoiles filantes tracent leur course çà et là. De gros nuages noirs à l'horizon nous inquiètent un peu plus à chaque rafale. On entend l'eau qui roule le long de la coque percée.

Quelques cigarettes. La promesse de se poser enfin quelques jours quelque part à l'arrivée. Un fou rire à l'idée qu'après 2 jours à Tana, 1 journée de voiture, une autre de taxi-brousse, 3 jours de marche, 4 jours de pirogue, 1 journée de spéléo et d'escalade puis une de 4x4 et 2 jours et demi de boutre, notre équipée devait s'arrêter, un temps, dans un hôtel avec une douche, des chiottes, un bon lit et de la langouste au déjeuner. Comme le dit mon amoureuse : "Trop de voyage tue le voyage !"

Cherchons maintenant à quitter (si possible par la route !) la ville fantôme vezo de Morombe pour les charmes de la baie d'Andavadoaka, ses cocotiers, son lagon, son club de plongée, son punch coco et les épaves de la baie des Assassins, autrefois le repaire des pirates du Canal du Mozambique. Il sera toujours temps alors de se demander comment quitter ce trou paumé et joindre Tuléar. Une seule certitude, ce ne sera pas en boutre. Ah ça non !

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Morombe. Calme. Des grands papillons noirs à pois blancs voguent dans le vent. Des enfants souriants jouent sur la plage... "Acourabe !" "- Salame ankisy ! Inona ni vaovao ?" "- Tsy misy."

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Ai pris le temps hier dans l'enfermement du boutre d'essayer de comprendre un peu mieux et de répondre à la question que l'on ne peut manquer de se poser en arrivant à Mada : Comment un pays au sol si riche peut-il être si pauvre ?

Cette question, nous nous l'étions déjà posée pendant la traversée des Hautes Terres entre Tana et Tsiroanomandidy. Les abords de la route nous avaient alors révélé la fertilité incroyable du sol malgache : rizières, cressonnières, argile, forêts, arbres fruitiers, minéraux multiples, quartz, latérite, nickel, etc... La lecture à Bekopaka du livre de Pierre Vérin aurait pu déjà m'apporter des éléments de réponse. Mais nous avions dû repartir et laisser dernière nous l'ouvrage que je n'ai eu que le temps d'effleurer. Les entretiens que nous avons eus avec différents malgaches que nous avons rencontrés ont pu nous éclairer également : le sourire entendu de Lalassy sur la route de Tsiro, la perplexité de Raël devant les compte-rendus des autorités locales, l'impuissance du chef de gendarmerie à Ankavandra, quasiment seul (six hommes seulement, mal payés, mal logés et un territoire immense, sans engin motorisé...) pour lutter contre les bandes armées de voleurs de zébus et contre le désœuvrement des jeunes sans emploi ni occupation, fruit de la démographie galopante des trente dernières années et du manque de scolarisation dans les provinces, l'incompréhension de Nonosy à Belo s/mer face au manque d'initiative et de volonté des élites de Tana, la colère de Jimmy vis-à-vis de la corruption généralisée et du président merina Ravalomanana qui favorise son ethnie et ses entreprises au détriment du pays tout entier, le constat de Vonzi dans les plaines du Bemahara, relevant l'absence d'hôpitaux et d'écoles dans cette région sakalava, les explications de Lebel sur l'état catastrophique des routes autour de Morondava, le manque de crédits alloués par l'Etat, le vol de ces crédits par les autorités locales, et la fière assurance enfin de la propriétaire du Karthala à Tana, élite merina, professeure de management à l'université, vraisemblablement partisane du partenariat avec les américains prôné par son président auto proclamé en 2002, reconduit après des élections douteuses en 2007, ancien chef d'entreprise richissime, comparé à Berlusconi, favorisant par la loi le développement de ses entreprises et par la grâce de nominations et de dons douteux le retour au pouvoir des merina, peuple dominant le royaume avant la colonisation française, de retour aux manettes pour la gloire de son orgueil un instant restitué.

Toutes ces discussions fragmentées ont retrouvé dans mon esprit un semblant d'unité en lisant les chapitres "Histoire" et "Economie" de mon guide du routard, richesse et déclin de Madagascar, rôle du colonisateur et des entreprises françaises dans la post-colonisation, communisme malgache des années 70-80, relations entre les ethnies, diktat du FMI et de la Banque Mondiale, ouverture à l'économie de marché et, autrefois, la domination des merina sur les peuples périphériques, conquise de haute lutte et jamais vraiment abandonnée.


Ici, à Morombe, les infrastructures délabrées, l'absence d'électricité, la route principale défoncée, recouverte de sable et de poussière laissent imaginer un âge d'or révolu, temps des colonies ou miracle de la croissance malgache dans la deuxième moitié des années 90 (de 3,5% à 6,5% selon les années alors...). Les nombreux pécheurs de la côte vivent dans des cahutes en bois ou en paille sous palme séchée, parfois en tôle ondulée, font leurs besoins sur la plage, comptent encore en FMG (monnaie abandonnée depuis 6 ans) et ne savent sans doute pas lire, à l'image du capitaine Dada et de 55% de la population non scolarisée.
La boutique Orange attend les clients (seul moyen de communiquer avec l'extérieur lorsque les lignes sont coupées, ce qui est le cas aujourd'hui...). Les hôtels sont vides. Les enfants jouent sur la plage. Jimmy a confié son fils de 5 ans à l'école française, "pour qu'il réussisse". Et la propriétaire du Karthala attend, elle, le miracle américain à la capitale.

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Ultime rebondissement de la journée : à mon grand regret, nous n'irons pas à Andavadoaka.

Avions trouvé un super plan : le camion de ravitaillement devait quitter Morombe demain et nous emmener avec lui pour faire les 45 km de piste le long de la côte. Problème : pas de ravitaillement demain. Nous irons donc à Ifaty, station balnéaire de Tuléar, rejoindre les touristes au bord du lagon, et c'est là que nous passerons nos trois jours de repos bien mérité. C'est vraiment dommage... Andavadoaka restera un fantasme... Il n'est pas question d'y aller par la mer !

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